De la cité lagunaire au toit du Portugal
Cette région, les Beiras, dont le nom signifie littéralement "les bords", forme une bande délimitée par deux fleuves, le Douro au nord et le Tage au sud. C'est une terre faite de contrastes qui s'étendent d'un littoral très pittoresque à un arrière-pays fait des plus hautes cimes du Portugal, protégé par des villages fortifiés surveillant l'Espagne, pour finir sur des plaines agricoles.
La beira littoral joue entre ses longues plages de sables blancs, ses villages de pêcheurs typiques comme ílhavo et la lagune d'Aveiro formant une large ria, véritable prairie marine.
Puis, en sillonnant vers l'est les petites routes bucoliques des coteaux du Dão, la Beira Alta annonce un des reliefs les plus hauts du pays, la Serra da Estrela, le "toit du Portugal", domaine de la randonnée et du ski en hiver.
Enfin, dans la Beira Baixa, les paysages plantés d'oliviers et de chênes-lièges s'aplanissent et s'étirent depuis Castelo Branco jusqu'à la ville de grande renommée universitaire de Coimbra, traversant des forêts originelles aux eaux thermales réputées.
Le volet gastronomique s'appuie quant à lui sur des spécialités régionales hautement reconnues dans tout le pays comme le Leitão da Bairrada ou cochon de lait, mais également sur des produits du terroir d'excellente qualité qui forment de beaux mariages, comme les vins issus des vignobles réputés du Dão et de Bairrada et le Queijo da Serra, certainement le plus goûteux et le plus emblématique de tous les fromages portugais. D'autres très bons produits comme les eaux locales, le miel, l'huile d'olive, la charcuterie ou les cerises sont de magnifiques souvenirs à ramener ou à goûter sur place.
Aveiro, petite ville de la Costa da Prata, constitue à coup sûr un des plus grands coups de cœur lors d'un périple au Portugal, tant son charme et son originalité retiennent l'attention et séduisent. Communément nommée la "Venise portugaise", et ce n'est pas usurpé, Aveiro assure un dépaysement total.
L'autre attraction d'Aveiro est une spécialité sucrée devenue une véritable institution aux allures de produit de luxe : l'Ovo Mole de Aveiro ou “œuf mou”, si bien présenté dans les vitrines de la pâtisserie Peixinho (" petit poisson", cela ne s'invente pas), qui officie depuis 1856. Moins connu que le pastel de nata, l'ovo mole du Portugal après l'Inde ! Sa base, une pâte constituée de jaunes d'œufs et d'un mélange d'eau et de sucre, est coulée dans les moules en bois à la forme inspirée de la mer, poisson ou coquillage. On dit de cette pâte de sucre dorée qu'elle ressemble à une hostie et que les œufs sont d'un arôme presque sacré — un vrai péché ! On peut pousser la passion des ovos moles jusqu'à apprendre à les faire dans la très sérieuse Oficina de Doce, une confiserie où de réels experts racontent l'histoire de cette douceur d'une saveur unique.
Reprenons le canal où les moliceiros, barques aux couleurs vives, glissent vers l'immense lagune de marais salants jusqu'à Costa Nova, station balnéaire d'Aveiro aux jolies maisons de pêcheurs à rayures colorées, les Palheiros. Ces bateaux aujourd'hui dédiés au tourisme avaient autrefois de multiples usages : collecte des Moliça (algues utilisées comme engrais), pêche à l'anguille, récolte de sel et culture de riz. Aujourd'hui encore, Aveiro continue d'exploiter ses salines, ses prairies, ses rizières, ses champs d'algues, et transforme cette production dans les conserveries et usines de salaison. La pêche reste abondante et offre une carte au quotidien plus que joyeuse : fritures, fruits de mer, soupe de poisson, crevettes tigre grillées, bouillabaisse, d'anguilles, dorades, bars, spécialités à base de riz local comme le risotto de poulpe ou de lotte aux crevettes. Aveiro, plus qu'une halte réjouissante, est un enchantement !
Alors que l'on quitte les longues plages de sable fin du cordon littoral pour s'enfoncer à l'intérieur des terres, l'approche de la Serra da Estrela se fait en douceur, amenant le promeneur sur les petites légèrement escarpées de cette région viticole dont Viseu, ville d'art, occupe le cœur. Le vignoble de Dão s'étend sur près de 20 o00 hectares de terres granitiques et tient sa réputation de la production de vins proches des crus de Bordeaux, avec des blancs fruités et des cépages rouges couleur rubis plus doux et chargés d'arômes. Le Tinta Roriz, le Jean ou l'Afrotecheiro retiendront particulièrement l'attention.
Capitale du vignoble, Viseu est devenue une véritable étape gastronomique avec ses spécialités de viande comme la Vitela á moda de Lafões (veau rôti servi avec du riz — la version avec du chevreau est encore plus prisée) ou le plat régional par excellence, la Chanfana de Cabra, un ragoût de chèvre mijotée quelques heures dans du vin rouge au feu de bois. Une autre spécialité à base de porc se laisse déguster, les Rojões, sauté de porc accompagné de pommes de terre et de Morcela, un boudin noir parfumé au cumin et au clou de girofle. La visite ne serait pas complète sans une dégustation des nombreuses douceurs conventuelles de Viseu, dont les célèbres castanhas de Ovos ou "châtaignes d'œuf” issues du monastère des frères bénédictins.
Si l'on poursuit le parcours vers l'Espagne toute proche, Guarda, la ville la plus haute du pays, s'impose comme la gardienne du Portugal et la véritable porte d'entrée de la Serra da Estrela.
Massif le plus élevé du pays, la Serra da Estrela ou “montagne de l'étoile”, formant une barrière naturelle longue de 60 kilomètres, constitue une véritable curiosité et attire bon nombre de promeneurs à la recherche de panoramas et d'air pur.
Son point culminant, le pic de la tour, atteint les 1 993 mètres d'altitude. Lacs aux eaux limpides, cônes de granit cyclopéens et landes de bruyère constituent un terrain de jeu idéal pour la tradition pastorale. Même si aujourd'hui, l'activité se raréfie, le mouton a longtemps été la clé de voûte de l'économie locale, pour sa laine d'abord, mais aussi pour son fromage, le plus réputé du Portugal : le Queijo da Serra.
Ce fromage de brebis d'appellation “Serra da Estrela” est toujours fabriqué à la main pendant les longs mois d'hiver, à partir de lait mêlé à une infusion de fleurs de charbon qui favorise le caillage. Déposé sur des faisselles, il est pressé plusieurs fois jusqu'à obtenir une certaine consistance.
Quarante jours de repos sont nécessaires pour qu'il puisse être consommé Amanteigado (en pâte mi-molle), voilà son originalité ! Il peut alors se manger à la petite cuillère tant il est coulant, ou étalé sur du pain et accompagné de marmelade de coings ou de potiron, un délice.
Ce fromage a tellement de succès qu'il se vend aussi bien dans les bergeries des derniers versants que dans les fromageries de villes comme Covilhã, Manteigas ou Gouveia. D'autres produits locaux comme la charcuterie de montagne, le jambon cru, le Lomo ou la saucisse sèche seront du plus bel effet à ses côtés sur un splendide plateau apéritif ou en pique-nique lors d'une randonnée.
Mais, l'ode à cette belle montagne faite d'étoiles ne serait pas complète si l'on ne rendait pas hommage à un autre trésor local, compagnon fidèle et indispensable du berger pour ses transhumances : le Cão da Serra, le “chien de la montagne”. Ce toutou portugais à la robe fauve ou loup gris doté d'une épaisse couche de poils, corpulent et courageux, est une race autochtone de la péninsule Ibérique. Il partage depuis la nuit des temps la vie du berger en lui tenant compagnie et en protégeant son troupeau. Il a largement contribué à la vie pastorale et fait aujourd'hui partie du patrimoine de montagne portugais.
La sortie du massif se fait en douceur vers Castelo Branco, capitale de la Beira Baixa et ancienne place forte prête à défendre la frontière des assauts espagnols. La ville est entourée d'une vaste plaine à la lumière dorée qui évoque déjà l'Alentejo voisin. Dans ce véritable grenier à grain de l'est du Portugal, les Quintas ou domaines agricoles produisent du seigle, de l'huile d'olive, du miel, un fromage de brebis à croûte lavée assez doux, mais aussi le liège qui a offert sa prospérité à la ville.
Lorsqu'on retourne vers l'océan pour atteindre la dernière ville du périple, Coimbra, les chênes-lièges font place aux forêts originelles de Buçaco, dotées d'eaux médicinales qui ont donné naissance à des stations thermales commes celles de Curia, São Pedro do Sul ou Luso. Vous trouverez d'ailleurs souvent le nom de Luso sur les bouteilles d'eau naturelle servies à table.
Enfin, Coimbra, avec ses airs de ville toscane, apparaît comme un bel écrin final lors de ce périple dans les Beiras. Perchée sur la colline et baignée par le Mondego, la ville à la plus ancienne université du pays, haut lieu du fado médiéval chanté par les hommes, s'impose avec respect dans le cœur des Portugais comme la cité des arts et des lettres.
Dans son jus, la ville offre une parenthèse romantique où le temps n'a pas de prise et où il fait bon flâner dans les ruelles étroites puis s'installer à une terrasse pour écouter le fado chanté par les étudiants - animation assurée ! Une multitude de petits restaurants et tavernes typiques sont dans le même esprit. Plats du jour bon marché et simplicité sont au rendez-vous pour le plus grand plaisir des habitués, et ils sont nombreux.
Le plat régional qui s'impose est le célébrissime Leitão da Bairrada, recette de cochon de lait connue dans tout le pays et pour laquelle on est prêt à faire des kilomètres. Elle est tellement réputée qu'elle a reçu le titre de “merveille de la gastronomie portugaise” en 2011 ! Il s'agit d'un porcelet parfumé de lard dont l'intérieur est enduit d'une pâte de sel et de poivre, lentement cuit à la broche. Il est accompagné de pommes de terre rôties et de tranches d'orange. L'autre plat du jour couramment au menu des restaurants est l'Alheira, la saucisse aux épices, souvent frite, servie avec un œuf au plat et des frites maison. Délicieux !
Plus classique, la Jardineira de Légumes ou (jardinière de légumes), sorte de bœuf bourguignon accompagné de pomme de terre, carotte, petits pois et févettes, fait la part belle à la verdure, tout comme le riche Cozido, un pot-au-feu aux viandes variées (paleron, palette, saucisse), avec son bouquet de légumes riants (pommes de terre, chou cœur-de-bœuf, carottes, haricots verts, navets et pois chiches). Des valeurs sûres qui font partie, de façon plus large, du patrimoine culinaire de la région Centre !
Enfin, déambulez jusqu'à la pâtisserie Briosa, dotée d'une immense terrasse, pour prendre le dessert ! Il faut rester concentré sur les classiques de la ville de Coimbra, à savoir les Pastéis de Santa Clara, bouchées saupoudrées de sucre glace, les Arrufadas (petites brioches) et, certainement les meilleures en finesse, les Hóstias conventuais, hosties fourrées d'œuf, d'amandes et de courge. Finissez par un café ou Bica au Santa Cruz, ancienne chapelle de l'église du même nom transformée en café, et profitez de l'air brassé par le vieux ventilateur en écoutant un fond musical de jazz ou de fado.
Ajouter un commentaire
Commentaires